
Edgar Grospiron
Des podiums olympiques aux startups.
« Une semaine vin rouge, une semaine vin blanc ». Voilà le secret de préparation d’Edgar Grospiron pour les Jeux olympiques d’Albertville auxquels il remporte la médaille d’or en Ski de bosses, l’épreuve reine du ski freestyle. À ce moment-là, la France découvre un athlète au sommet de son art qui arrêtera sa carrière trois ans plus tard après un dernier titre mondial acquis, chez lui, à La Clusaz. Aussi à l’aise avec un micro que sur des skis, il devient touche à tout, consultant à la télévision, organisateur d’événements sportifs, développeur de matériels de ski et créateur d’une startup en pleine explosion de la bulle internet et se termina par une mise en liquidation. Pas refroidi pour autant, il devient conférencier en entreprises et est aujourd’hui associé de la startup Roadoo Network, spécialisée dans l’animation de challenges commerciaux. L’occasion de revenir sur son parcours et de rencontrer Edgar, l’entrepreneur. En 1994, aux Jeux Olympiques de
Lillehammer, vous remportez le bronze. Quel goût a cette troisième place alors que deux ans avant vous remportiez l’or à Albertville ?
Sur le coup, je ne suis pas déçu du résultat, je ne m’attendais pas à avoir une médaille, j’étais blessé un an avant sur un lit d’hôpital donc il y avait quand même la satisfaction de décrocher une médaille. Mais j’étais déçu sur la manière dont je l’avais obtenue. Je pense que j’aurai pu faire mieux, l’argent sans doute, l’or peut-être, mais à cause d’une petite faute que j’ai faite à vingt mètres de l’arrivée, je me suis privé d’aller chercher un métal plus précieux. En sport, et encore plus en ski de bosses, chaque compétition est différente, donc chaque victoire ou chaque défaite a une saveur particulière.
Se préparer pendant 4 ans pour 30 secondes de « run »… Le droit à l’erreur existe-t-il ?
(Rires) Il existe pendant quatre ans. Ce que j’ai l’habitude de dire c’est que si tu sais que tu es prêt au début de la course, tu peux encore perdre, en revanche si tu n’es pas prêt, tu es sûr de ne pas pouvoir gagner. Le droit à l’erreur existe pendant quatre ans, mais le jour de la course, s’il y a des erreurs, c’est que la préparation n’est pas parfaite. On n’est pas à l’abri du concurrent qui sort la course de sa vie, mais ça doit être anticipé. J’avais dit avant Albertville que j’aller gagner les Jeux Olympiques et je me suis entrainé de sorte que le jour de la course je puisse l’emporter même avec deux ou trois fautes techniques. J’avais prévu une marge de sécurité sur mes adversaires très importante.
En règle générale, le sport fait-il relativiser l’échec ?
Certainement… Si je prends toutes les courses auxquelles j’ai participé, j’en ai perdu plus que ce que j’en ai gagné, donc le sportif est confronté très souvent à l’échec. Mais ça fait aussi relativiser la victoire. En sport, il faut distinguer le résultat de la réussite. Le résultat c’est tangible à un instant t, la réussite c’est autre chose, c’est très personnel. Pour réussir, il faut tirer des enseignements de chaque résultat, qu’il soit positif ou négatif.
Trois fois médaillé olympique dont un titre, trois fois champion du monde… comment passe-t-on d’une vie de défi et d’adrénaline à la suite ?
Déjà la première des choses, la vie ne s’arrête pas après. En revanche une chose est sûre : personne ne viendra vous fixer des défis ou des challenges, ce n’est pas le rôle des autres. Mais quand dans le sport, on a appris à se fixer des objectifs, c’est plus facile de continuer à s’en fixer de nouveau dans la vie. Le décor change, les acteurs changent, les périodes changent, mais on peut se fixer de nouveaux challenges. La vie est comme on se la dessine, si l’on a besoin de défis pour avancer, il faut s’en fixer. Idem avec l’adrénaline, la compétition est un fournisseur extrêmement puissant, mais vous pouvez faire du kitesurf, de la wingsuit ou même faire une conférence et la décharge d’adrénaline sera aussi puissante.
D’ailleurs, depuis que vous avez arrêté le ski en compétition, vous intervenez comme conférencier et écrivez des livres sur la motivation des champions, notamment pour challenger des équipes. Quel est votre objectif ? Quel message voulez-vous faire passer ?
Je veux faire comprendre aux gens que ce que j’ai fait, tout le monde peut le faire, ce n’est pas une question d’être exceptionnel, d’être doué, ce n’est pas une question de moyens ou de chance, mais d’abord, et avant tout, une question de motivation. Je ne dis pas que tout le monde peut être champion olympique de ski de bosses. Je dis que tout le monde a, au fond de lui, suffisamment d’énergie pour se donner les moyens d’atteindre des objectifs et de se réaliser.
Sur votre site internet, dans la vidéo qui se lance vous dites « des gens pensent que l’on nait champion, mais c’est faux », la motivation est-elle la clé de tout ?
De ce que j’ai pu voir dans le sport, et de ce que je vois aujourd’hui dans l’entrepreneuriat, une chose est sûre : à niveau de compétence égale, c’est les plus motivés qui vont l’emporter. Pas en oneshot bien sûr, mais sur le moyen/long terme, j’ai toujours vu les plus motivés l’emporter donc cela veut dire que notre performance n’est pas liée à la compétence, mais à la motivation. Dans ma carrière, j’ai battu des concurrents qui étaient plus forts que moi sur le papier, mais si je les ai battus c’est parce que j’avais plus envie qu’eux d’en découdre. Dans le monde d’aujourd’hui, les compétences s’acquièrent partout et tout le temps, donc la seule variable c’est la motivation. De même, on peut dire que tout le monde peut devenir entrepreneur, mais il y en a certains pour qui cela sera plus facile. Il faut savoir prendre des risques, se sacrifier au profit de sa boite, et je sais de quoi je parle. En 1999, j’ai créé et développé une startup qu’il a fallu fermer faute de moyen en 2001, donc je connais bien le processus. J’ai baigné dans la bulle internet des années 2000, et effectivement on ne nait pas entrepreneur, s’il faut des qualités humaines il n’empêche que le management, la finance ou la technique peuvent s’apprendre.
Quelle était cette startup que vous avez dû fermer ?
Elle s’appelait Ridearth, c’était un site communautaire dédié aux sports alternatifs comme on appelait ça à l’époque. Donc il y avait les pratiquants de sport sur neige, eau, terre et air. Tous les sports qui n’étaient pas dirigés par de grandes fédérations comme le ski freestyle, le snowboard, le BMX, le skateboard, le wingsuit… On était sept ou huit concurrents en France, pas un n’a survécu. L’enjeu était d’avoir une partie éditoriale où l’on produisait du contenu texte, audio et vidéo. Une partie communautaire et une partie e-commerce où l’on vendait des marques propres à ces sports. Mais personne n’a trouvé le bon modèle économique et aujourd’hui le modèle est explosé entre Facebook, Amazon et les médias papier qui ont développé leur partie web. On est soit arrivé trop tôt, soit trop tard, mais en tout cas c’était une aventure humaine unique.
À ce moment-là, sur ce secteur, est-ce que s’appeler Edgar Grospiron a été un avantage ?
Je ne peux pas dire le contraire, c’était très cohérent et le secteur était hyper porteur. À l’époque, c’était très difficile pour les marques d’atteindre les 15-25 ans, donc le média était très pertinent pour les annonceurs. Pour les pratiquants aussi, c’était un moyen de se montrer. Les GoPro n’existaient pas, YouTube non plus… Le personnel publishing n’existait pas, je pense qu’on était là trop tôt. Effectivement, quand c’est un champion de son sport qui porte un projet, il y a une forme d’authenticité qui fait que les investisseurs sont assez réceptifs.
Pourquoi s’être lancé dans l’aventure startup ?
Je me suis lancé parce que je trouve très important d’agir verticalement, d’exploiter au maximum ce que l’on peut faire sur un secteur. Je l’ai fait à l’époque avec Ridearth et je le fais aujourd’hui avec Roadoo parce que le lien est évident avec mon coeur de métier actuel.
Justement, pourquoi s’être rapproché de la startup Roadoo Network ?
Mon coeur de métier c’est de donner des conférences dans des entreprises qui veulent motiver leurs équipes et Roadoo c’est le penchant technologique idéal. L’application vient concrétiser tout ce que je dis dans les conférences. J’explique souvent que la motivation est comme un muscle qu’il faut travailler, donc la conférence seule est un point d’entrée, mais avec Roadoo on peut faire travailler le muscle sur la durée.
Comment avez-vous rencontré Roadoo ?
C’est très simple, Christophe Trémoulinas, le patron de Roadoo, m’a envoyé un mail dans lequel il m’a expliqué que j’avais le contenu et qu’il avait la technologie et qu’il voulait que l’on fasse un truc ensemble. Il se trouve qu’à ce moment-là, je cherchais une technologie pour exploiter mon contenu donc la connexion a été évidente. Mais au-delà d’un simple partenariat, j’ai de suite abordé le sujet de l’association pour vraiment participer à la vie de l’entreprise. Je ne voulais pas être un sportif sponsorisé et juste mettre un bandeau, je voulais m’impliquer.
L’association était-elle indispensable pour vous ?
Oui, tout d’abord parce que j’ai très vite perçu la valeur du produit, puis par ce qu’on a bien matché avec Christophe. C’est un entrepreneur qui a de l’expérience, qui connait le secteur, qui sait de quoi il parle et qui accompagne depuis plus de 25 ans des boites dans leur challenge commerciaux , donc il a une vraie connaissance et une vraie compétence. Mais en même temps on se retrouve, car on aime la technologie, on est curieux et humainement on s’entend bien, on a le même âge, un parcours de vie semblable, on se comprend tout simplement. J’oeuvre aujourd’hui au développement commercial de l’entreprise et c’est en ce sens que je veux grandir dans mon métier.
Comment cela se traduit-il tous les jours ?
J’étais dernièrement sur Avignon où je donnais une conférence pour une société leader sur son marché qui a des revendeurs partout en France. La société a présenté un challenge commercial, et en discutant avec eux, je leur ai proposé la solution Roadoo. Dans la mesure où j’avais fait une conférence, c’était judicieux de proposer la solution pour animer les équipes tout au long du challenge, plutôt que de dire « si on atteint le chiffre, vous partez en voyage » et ne rien faire pendant les onze mois de challenge comme on le voit dans plein d’entreprises. Avec Roadoo, on peut classer, challenger, valider des compétences et récompenser en cours de route les équipes. Christophe a donc pris contact avec le DG de la boite et on va aller leur présenter la solution. L’autre aspect, c’est de me mettre en avant dans la communication pour à la fois buzzer sur mon nom et aussi sur la partie contenu de l’offre EdgarCoach2.0. Il y a des vidéos que l’on a faites ensemble, des textes, des contenus et des citations qui viennent alimenter la communauté pour maintenir en éveil et motiver tous les jours.
Aujourd’hui quand vous montez sur scène pour une conférence, ressentez-vous la même adrénaline que celle que vous ressentiez au départ d’une course ?Ce n’est pas la même adrénaline. Je n’avais pas beaucoup d’adrénaline avant une course. Bien entendu au départ des jeux c’est différent d’une étape au fin fond du Japon quand vous avez déjà gagné la coupe du monde et que vous êtes là juste parce qu’on va vous remettre le trophée de numéro un mondial. Au départ des jeux d’Albertville, comme j'avais dit que je voulais gagner et tout le monde m’attendait au tournant, il y avait de l’adrénaline bien sûr. Tout l’enjeu pour moi c’était de transformer cette adrénaline en force, en stimulant et non pas un stress qui allait me bloquer.
Il y a de nombreux sportifs qui se reconvertissent dans l’entrepreneuriat. Quelles sont les similitudes entre les sportifs de haut niveau et les entrepreneurs ?Ce qui lie les deux profils c’est d’être inscrit dans une logique d’aventure humaine qui tend vers de la performance. En général, la performance pour un entrepreneur c’est d’arriver à faire beaucoup avec peu de moyens et il a de grandes ambitions. Il y a aussi une notion de solitude, l’athlète et l’entrepreneur doivent souvent prendre des décisions cruciales en étant seuls. Mais les deux ont la charge de faire adhérer une équipe à leur projet et là réside une grande différence : l’entrepreneur paye son équipe alors que l’équipe mise à disposition du sportif est payée par la fédération, ce qui rend parfois l’adhésion au projet plus difficile.
Est-ce pour cela que l’on voit des sportifs créer leur propre structure comme le Free Ski Project de Kevin Rolland, ou même la structure de Marion Bartoli en tennis ?Ces structures poussent à la professionnalisation. Elles responsabilisent le sportif. Pour autant, il ne faut pas se tromper quand on est athlète, le coeur du métier c’est d’être performant, donc il doit y avoir un système à la disposition de la performance. Il doit y avoir quelqu’un qui gère les finances, l’intendance, le matériel, car sinon cela devient trop compliqué pour l’athlète, contrairement à l’entrepreneur qui lui doit manager un projet et une équipe. Les deux ont besoin d’une équipe, mais les deux ne sont pas à la même position dans l’organigramme.
Quel regard portez-vous sur les entrepreneurs, sur l’écosystème ?
Je ne suis pas un fin connaisseur de cet écosystème, mais j’ai eu l’occasion de rencontrer le fondateur de Dailymotion et d’Happn, Didier Rappaport, et ce qui me frappe c’est l’approche des entrepreneurs du digital. Avoir une vision globale dès le départ et pouvoir changer de coeur de métier rapidement, c’est exceptionnel une telle agilité. Par exemple, Happn, le coeur de métier c’est de faire rencontrer les gens, mais l’actif principal de cette boite aujourd’hui, c’est la data. On a l’impression qu’il n’y a pas vraiment de limites et les modèles de Facebook ou Google nous prouvent la puissance des communautés.
Que diriez-vous à ceux qui hésitent ?
C’est parce que vous hésitez qu’il faut y aller. Dans ce monde, l’hésitation est une force, c’est ce qui vous garde en alerte. Si vous ne voulez pas prendre de risque, si vous avez peur, ne foncez pas, en revanche, ne vous plaigniez pas d’avoir une vie qui n’est pas excitante. Le doute m’a toujours fait avancer. Là où il y a un doute, il y a un vide à combler et il faut aller chercher les réponses. D’ailleurs, les gens les plus chiants dans la vie sont ceux qui croient avoir réponse à tout, ça enlève toute la surprise, tout le piment à la vie. On parlait d’adrénaline plus tôt, il y a plusieurs niveaux. Quand je fais une conférence, j’ai le risque de ne pas être aimé, mais je n’en meurs pas. Alors que ceux qui frôlent une falaise en Wingsuit …
Vous n’aviez pas de casques pour faire ces figures sans casques…
Non et alors (rires). Vous savez à notre époque on ne mettait pas de casque. C’est une fois que les saut périlleux sont arrivés dans notre sport qu’on a mis des casques. Et si à l’époque, quelqu’un arrivait avec un casque il était mal vu, c‘était une marque de faiblesse. À notre époque, même en look, c’était ridicule le casque, ils étaient moches. Mais les règles de sécurité ont considérablement évolué et c’est presque devenu la norme… bon, moi je skie toujours sans casque, mais j’en ai un dans le garage pour faire bien.